Je commence par dire que j’adore mes deux belles-sœurs, malgré le titre de ce blogue!
Récemment une amie m’a posé une question : «Quelle est la pire succession que tu as administrée?» C’est une question piège! Certains peuvent trouver qu’une succession qualifiée de «pire» pourrait en être une où tout est en désordre et où il est difficile de se retrouver, alors que pour d’autres ce serait une succession où les bénéficiaires sont en pleine guerre, par exemple!
J’ai vécu les deux scénarios à plusieurs reprises. Mais la situation qui me reste en tête depuis presque 15 ans est celle où j’ai dû gérer la succession d’une famille totalement déchirée émotionnellement. Il y avait d’importants conflits, et ce, malgré que beaucoup d’argent était disponible.
Madame Leduc (j’utilise ici des noms fictifs) avait 4 enfants : deux filles, deux garçons. Elle avait 80 ans et mettait son plan testamentaire à jour afin de s’assurer que Maxime, son fils de 50 ans à l’époque, soit bien protégé. Pourquoi Maxime en particulier? Parce qu’il souffrait de schizophrénie. Madame Leduc s’était toujours occupée de lui. Elle s’assurait que son loyer soit payé, qu’il ait toujours de l’argent pour son épicerie, etc. D’ailleurs, à tous les mois, elle déposait de l’argent dans son compte bancaire pour qu’il puisse subvenir facilement à ses besoins.
Étant donné son âge avancé et la lourde responsabilité que représentait la charge de Maxime, Madame Leduc voulait s’assurer de planifier sa succession afin que les besoins de son fils soient couverts lorsqu’elle ne serait plus là. Sa solution: mettre à jour son testament pour créer une fiducie testamentaire. Ainsi, les fiduciaires s’assureront que les sommes d’argent soient bien investies, paieront les dépenses de Maxime et s’assureront que les besoins financiers de ce dernier soient comblés.
Avec cette solution, tous ses enfants hériteront, mais comme la situation est délicate, le choix fait par Madame Leduc avantagera certainement Maxime. Cependant, s’il reste de l’argent dans la fiducie après le décès de Maxime, ces fonds seront répartis entre l’autre frère et ses sœurs.
Madame Leduc est décédée en novembre 2001. Elle avait nommé une compagnie de fiducie comme liquidateur et fiduciaire indépendant. Elle se sentait plus à l’aise de confier le lourd travail de s’occuper des besoins financiers particuliers de Maxime à des professionnels. De toutes façons, ses filles vivaient à l’extérieur du pays et son fils ainé, Jacques, devait s’occuper de sa jeune famille.
Deux semaines après le décès de Mme Leduc, sa bru (épouse de Jacques) téléphona à la compagnie de fiducie pour exprimer que sa défunte belle-mère aurait fait un testament plus récent que celui dont la compagnie de fiducie était en possession, donc que ce dernier n’est pas valide. Elle prétend que le testament qu’elle a entre les mains est plus récent, et que par défaut, il doit devenir le dernier testament reconnu. Il s’agissait d’un testament olographe, c’est-à-dire un testament écrit à la main par le testateur. Cette forme de testament est valide au décès (voir mon blogue antérieur sur le sujet).
Dans ce «nouveau» testament, Madame Leduc avait tout laissé à Jacques, et ce dernier était nommé comme liquidateur.
J’étais incrédule! Je connaissais Madame Leduc et je savais qu’elle voulait absolument protéger Maxime. Je savais aussi qu’elle ne favoriserait jamais son fils Jacques au détriment de Maxime. Instinctivement, je me méfiais beaucoup de cette conversation avec sa bru.
Les sœurs de Maxime ont été avisées de l’existence de ce nouveau testament, et elles aussi étaient très méfiantes. Elles ont aussitôt demandé l’avis juridique pour contester le testament olographe.
Bref, après deux longues années en justice et des factures de frais juridiques faramineuses, les sœurs ont réussi à faire prouver que le testament olographe en question avait été falsifié par Jacques. Un expert en graphologie a été convoqué en cour et son témoignage d’expert a démontré que Jacques avait lui-même écrit le testament qu’il a tenté de faire passer comme étant le dernier testament de sa défunte mère.
Le juge a non seulement déclaré la situation comme étant une fraude, mais a aussi exclu Jacques des bénéficiaires. Résultat final : le testament avec la fiducie fut déclaré valide et les deux sœurs ainsi que Maxime ont en plus hérité de la partie qui serait revenue à Jacques.
Au moins, cette histoire d’horreur s’est bien terminée.
Madame Leduc avait tout fait pour protéger son fils Maxime des étrangers et s’assurer qu’il serait bien, mais finalement, la menace venait de sa propre famille. Ce fut définitivement l’une des pires successions desquelles j’ai été témoin en raison de la gravité de ce qu’un homme était prêt à faire subir à son propre frère dans le besoin. J’avais du mal à accepter que quelqu’un veuille voler son propre frère si fragile et vulnérable, en plus de manquer totalement de respect envers les volontés de sa défunte mère.
Aujourd’hui, Maxime va relativement bien, malgré les défis que sa santé lui impose. Avec ses sœurs, ils ont une relation familiale soudée. Il va sans dire que les ponts ont tous été coupés avec Jacques.